Après la présidence allemande du Conseil de l’UE - Une analyse du Centre de Politique Européenne PARIS

18/02/2021

La présidence allemande du Conseil avait lieu du 1er juillet jusqu’au 31 décembre 2020. Elle a été placée sous le signe de la lutte contre la pandémie de coronavirus.

Le hasard du calendrier européen a mis Angela Merkel, au crépuscule de son quatrième – et dernier – mandat de chancelière, et son gouvernement sous le feu des projecteurs après les avoir totalement pris de cours. La pandémie de covid-19 s’est glissée à la première place de l’agenda des priorités du gouvernement fédéral, contraignant l’équipe placée sous la responsabilité de l’ambassadeur Michael Clauß à ne divulguer le programme de la présidence du Conseil de l’UE qu’à quelques encablures du passage de relais avec la présidence croate, en juin 2020.

Un changement de paradigme ?

La présidence tournante de l’UE, faut-il le rappeler ici, n’est pas un levier pour défendre des intérêts particuliers, mais une responsabilité ponctuelle qui permet à l’État qui l’assure de coordonner l’action des États de l’Union et de fixer un certain nombre de priorités. Le gouvernement fédéral, longtemps opposé à un endettement commun, a finalement renoncé face à la crise à l’orthodoxie budgétaire traditionnelle, au point que la question du « frein à l’endettement » (« Schuldenbremse ») au niveau national, objet d’un large consensus au cours de la dernière décennie, fait aujourd’hui débat, y compris au sein du parti chrétien-démocrate (CDU). N’en déduisons pas néanmoins, en France, que nos voisins d’outre-Rhin, parce qu’ils furent soucieux de préserver l’unité européenne face à une crise inédite, ont renoncé pour de bon à la Schuldenbremse ni qu’ils se sont résolus à faire fonctionner la « planche à billets » à vau-l’eau. Le ralliement d’Angela Merkel à la cause défendue dans la « Lettre des 9 »[1], préalable au plan de relance, est une réponse d’urgence à une situation d’urgence. Les élections fédérales à l’automne prochain, et avant cela la désignation du candidat CDU/CSU à la chancellerie, seront déterminantes à ce sujet. L’arrivée de Friedrich Merz en tête du premier tour de l’élection à la présidence de la CDU le 16 janvier dernier comme les réactions, parfois vives parmi les chrétiens-démocrates, à la proposition du chef de la chancellerie, Helge Braun, de modifier la Loi fondamentale pour permettre la suspension pour cinq ans du frein à l’endettement sont bien le signe que la pandémie a certes remis en question, mais pas balayé la culture budgétaire ordolibérale.

Le consensus à 27 sur le plan de relance de 750 milliards d’euros en juillet aura sans doute davantage été un « moment merkelien » que le « moment hamiltonien » que beaucoup se sont empressés de conjurer.

De nombreux chantiers restent ouverts

La présidence allemande de l’UE a impressionné le grand public européen en mettant tout son poids diplomatique pour parvenir à un consensus à 27, en particulier sur le plan de relance de 750 milliards d’euros en juillet, mais aussi en obtenant à l’arraché un accord commercial UE-Chine assez inattendu ou encore sur le Brexit négocié in extremis le 24 décembre après un feuilleton de 4 années. Sans oublier le compromis sur le budget de l’UE pour la période 2021-2027, dont la plupart des observateurs avaient douté qu’il soit trouvé à temps. En matière environnementale, l’objectif d’augmenter à l’horizon 2030 la réduction des émissions de CO2 de 40 à 55% par rapport à 1990 a été atteint – la liste des succès diplomatiques n’est pas exhaustive ici. Sur ces différents dossiers, c’est bien souvent le pragmatisme ou l’impératif politique qui ont conditionné les avancées. Pour autant, un certain nombre de dossiers importants n’ont pas avancé alors que ce sont ces sujets qui contribueront à l’émergence d’une « souveraineté européenne ». Les discussions concernant notamment l’union bancaire, la taxe sur le numérique, celle sur les transactions financières n’ont pas progressé, alors même que certains ministres allemands avaient annoncé vouloir « imposer leurs propres intérêts »[2] dans ces mêmes domaines au printemps dernier.

Enfin, la présidence allemande s’était fixé comme objectif de travailler à un accord rapide entre le Conseil, la Commission et le Parlement sur la structure et le mandat de la « Conférence sur l’avenir de l’Europe ». C’est sans doute le lien qui manquera entre les présidences allemande et française du Conseil de l’UE, que les deux gouvernements ont appelée de leurs vœux. C’est en effet la présidence portugaise qui devrait lancer, le 9 mai prochain, ce long débat qui devrait embrasser de nombreux sujets, des frontières européennes de l’UE et leur gestion à la politique de voisinage, en passant par les politiques migratoire, alimentaire, commerciale ou encore la politique en matière de santé. Sans oublier, ce que suggère certaines prises de positions françaises[3], que soient mises en place les fondements d’un « Parlement de la zone euro » auquel participeraient les élus des pays concernés, la réduction de la taille de la Commission ou la fin du vote à l’unanimité dans certains domaines, par exemple la politique fiscale. L'ensemble de ces chantiers ouverts promettent des débats démocratiques passionnés dans les mois à venir.

Julien Thorel
Directeur
Centre de Politique Européenne PARIS

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[1] France, Italie, Espagne, Grèce, Irlande, Belgique, Luxembourg, Slovénie et Portugal.

[2] Werner Mussler, « Geschäftig bis in die letzten Stunden », faz.net, 31.12.2020.

[3] « Europe : oser la puissance », Entretien d’Isabelle Lasserre avec Clément Beaune, Politique internationale, n°170, Hiver 2021.