Comment les entreprises allemandes en France gèrent-elles la crise sanitaire? L'exemple de Messer France

02/07/2020

Entretien avec Nicolas Denis, Président de Messer France, qui explique comment Messer a géré et pu maintenir son activité en cette période de crise sanitaire liée au Covid-19.

Quelle est l’activité de Messer en France et depuis quand vous êtes présents sur le marché français?

Messer est un groupe familial allemand spécialisé dans la production et la distribution de gaz industriels, alimentaires, médicaux et spéciaux comme l’azote, l’oxygène, le dioxyde de carbone, l’argon ou encore l’hélium. Il compte quelque 11 000 collaborateurs dans le monde et est présent dans 37 pays, en Europe, en Asie et en Amérique sous la marque « Messer – Gases for Life » (Gaz pour la Vie). En France, Messer accompagne de nombreux secteurs depuis 1973, notamment dans l’agroalimentaire, le médical, le traitement des eaux, le transport sous température dirigée, la construction mécanique, la chimie ou encore la métallurgie. L’activité de la filiale française, Messer France, s’appuie sur ses 350 collaborateurs et une présence sur tout le territoire. Concrètement, nous sommes organisés autour d’un siège social à Suresnes (Hauts-de-Seine), de 15 sites (unités de séparation d’air, unité de récupération de CO2, centres de remplissage et agences régionales) et d’un large réseau de dépositaires. Ce maillage régional fort est un véritable atout pour accompagner nos clients dans la réussite de leurs projets en leur apportant non seulement les gaz nécessaires (en vrac sous forme liquide ou conditionnés en bouteilles), mais également des conseils d’experts. Ainsi, nos produits et solutions technologiques permettent aux professionnels de ces secteurs d’optimiser leurs procédés de fabrication, de développer des solutions alternatives plus respectueuses de l’environnement ou encore d’offrir aux patients les meilleurs soins au quotidien. En 2019, avec cette approche et l’énergie de nos équipes, Messer France a réalisé un chiffre d’affaires de 135 millions d’euros.

Comment la crise sanitaire a affecté les activités de votre entreprise ?

Dès le début de la crise, nous nous sommes organisés pour préserver la santé et la sécurité de nos collaborateurs, de nos clients et de nos partenaires tout en maintenant notre activité. Nos produits sont essentiels dans de nombreux secteurs, en particulier pour les établissements de santé, les industries agroalimentaire et pharmaceutique, les stations de traitement de l’eau potable ou encore la chimie. Avec le confinement, 70% de l’effectif est passé en télétravail du jour au lendemain, 10% des collaborateurs se sont mis à travailler en alternant présence sur site et télétravail et 20% ont poursuivi leurs missions sur nos sites de production et de conditionnement. Je remercie toutes les équipes de Messer qui, par leur engagement et leur adaptabilité exemplaires, ont permis de mettre en place cette nouvelle organisation de manière rapide et efficace.

En parallèle, une cellule de crise a été formée avec des personnes de différents services pour faire des points quotidiens et suivre de manière précise l’évolution de la situation en France. Cela a permis d’avoir une vision en temps réel des événements, d’informer régulièrement le groupe Messer ainsi que nos partenaires sociaux et de les consulter le cas échéant.

Durant cette période inédite, nous avons également développé un nouvel outil de communication pour continuer de cultiver le lien et rassurer les collaborateurs. Depuis le 18 mars, les équipes de Messer en France reçoivent chaque matin une newsletter qui regroupe des sujets variés, leur donne des nouvelles de l’activité et des équipes et relaye les mesures gouvernementales.

Pour la livraison de nos produits, nous faisons appel à des partenaires spécialisés dans le transport de gaz conditionnés en bouteilles ou sous forme liquide dans des camions-citernes. Les premières semaines qui ont suivi le confinement ont été très compliquées pour les conducteurs qui ont dû faire face à de nombreuses problématiques au quotidien (conditions d’accès aux sites des clients imprécises, fermeture des aires de repos…). Selon les besoins, nos collaborateurs sur site ont aménagé des espaces de pause pour qu’ils puissent se restaurer et ont mis à leur disposition le matériel nécessaire pour leur permettre de respecter des mesures d’hygiène strictes. Nous travaillons main dans la main avec nos partenaires de transport pour que les chauffeurs puissent bénéficier des meilleures conditions pour exercer leurs missions.

Quel a été l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur l’activité de vos sites de production ? Est-ce que vous avez pu maintenir la production et comment vous êtes-vous concrètement organisés pour maintenir la production ?

L’impact de l’épidémie de Covid-19 sur l’activité de nos sites de production a été relativement limité. Face à cette situation particulière, nous avons mis à jour notre Plan de Continuité d’Activité dès janvier et l’avons déclenché le 26 février. Cette anticipation alliée à la discipline opérationnelle de nos équipes ont permis à nos 15 sites de poursuivre leurs activités de production et de remplissage en pleine capacité. Des mesures spécifiques ont bien évidemment été mises en place, la santé et la sécurité de nos collaborateurs restant notre priorité absolue. Pour permettre aux collaborateurs de respecter les gestes barrières et la distanciation physique, les postes de travail ainsi que les espaces communs ont été réaménagés et un système de rotation des équipes a été instauré. Des Equipements de Protection Individuelle (ex : masques) supplémentaires ont également été fournis. Pour faire face à la hausse de la demande en oxygène médicinal ou remplacer une personne si nécessaire, de nouvelles équipes dédiées à la préparation des bouteilles d’oxygène médicinal ont été formées et quelques intérimaires ont été recrutés. Les collaborateurs de Messer France, aussi bien sur les sites qu’en télétravail ont fait preuve d’un grand professionnalisme et leur mobilisation pour soutenir l’effort national est remarquable. Je suis très fier du chemin parcouru ensemble.

Quelles sont les perspectives économiques pour Messer France cette année ?

Si l’impact économique de la crise du Covid-19 est déjà observable dans le pays et chez Messer France, je reste confiant pour la période à venir. Nous avons tous les outils nécessaires pour surmonter cette épreuve et pouvons compter sur des femmes et des hommes animés par les valeurs fortes d’une entreprise familiale pour accompagner chaque jour nos clients et partenaires. Parmi les industries les plus touchées par la crise se trouvent l’aéronautique, l’automobile, la métallurgie et leurs sous-traitants. Cela a entraîné une diminution de leurs consommations de gaz industriels. D’autres secteurs comme le médical, l’agroalimentaire, le traitement des eaux, le transport sous température dirigée ou encore l’énergie ont poursuivi leurs activités. Les volumes en gaz consommés sont similaires à ceux de l’an dernier, à l’exception du secteur médical où nous avons enregistré une hausse de la consommation de l’ordre de 30% avec des pics allant jusqu’à 300%.

Notre activité sera donc soutenue par notre portefeuille clients très diversifié sur ces marchés porteurs et par nos solutions complètes à valeur ajoutée, qui, pour certaines, représentent des alternatives économiques et respectueuses de l’environnement. En parallèle, nous resterons à l’écoute de nos clients pour pouvoir accompagner la reprise progressive des secteurs les plus affectés. Pour ce qui est de l’activité médicale, notre nouvel établissement pharmaceutique fabricant situé sur notre site de Saint-Georges d’Espéranche (Isère), nous permettra de renforcer notre offre en tant que laboratoire pharmaceutique et de répondre aux besoins des professionnels de santé ainsi que des services de secours de la région Rhône-Alpes. Depuis début mars 2020, il est en mesure de conditionner de l’oxygène médicinal en bouteilles et cadres de bouteilles. Je profite de cette occasion pour saluer les équipes qui ont réussi ce démarrage dans un contexte de crise et de forte demande en oxygène médicinal.

Et comment évaluez-vous la situation de l'économie française ?

La crise sanitaire liée au Covid-19 et le confinement ont mis à l’arrêt une grande partie de l’économie française, qui ne fonctionnait qu’aux 2/3 fin mars. Selon la Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares), les secteurs les plus touchés sont l’hôtellerie-restauration, la fabrication de matériels de transport (aéronautique, automobile, métallurgie et leurs sous-traitants) et la construction. Cela se retrouve au niveau des prévisions du PIB pour l’année 2020 : début avril, l’Insee parlait d’une baisse minimum de 6% et fin avril, le gouverneur de la Banque de France avançait, lui, une baisse d’au moins 8%.

L’impact global de la crise dépendra de plusieurs éléments, notamment l’organisation du déconfinement et le dynamisme de la reprise ainsi que l’évolution de la crise sanitaire en France et dans le monde. Une chose est sûre : nous sommes au début d’une crise économique qui va impacter de manière significative les entreprises. Si la période à venir reste incertaine (flou autour de la réouverture des établissements scolaires, congés d’été…), le début du déconfinement devrait permettre une relance progressive qui devrait s’amorcer véritablement à partir de septembre.

Quand pensez-vous que votre entreprise reprendra son activité normale ?

A l’heure actuelle, il est difficile de se prononcer dans la mesure où notre activité s’inscrit dans une dynamique globale et est liée à d’autres secteurs. Cela dépendra donc de l’évolution de cette situation sanitaire inédite en France et dans le monde. La reprise économique devrait suivre une courbe en U et selon les projections les plus pessimistes, il faudra 2 à 3 ans pour retrouver le niveau d’avant la crise.

Le gouvernement français a lancé un programme d'aide à l'économie. Quelles autres mesures proposez-vous de prendre pour aider les entreprises à surmonter la crise ?

Le gouvernement français a lancé un programme d’aide à l’économie comprenant notamment des mesures de chômage partiel et des prêts garantis par l’Etat (PGE). Messer France n’a pas utilisé ces mesures de chômage partiel ni les opportunités de prêts garantis par l’Etat. Malgré ces mesures, nous craignons une multiplication du nombre d’entreprises en difficulté. La réactivité de la justice française sera un élément clef de la réussite. La bonne anticipation des mesures de l’Etat et la recherche de simplification administrative seront également nécessaires pour faciliter la reprise. Enfin, si l’Etat a soutenu les petites entreprises en priorité et collaboré avec les grands groupes, il doit également porter une attention aux entreprises de tailles intermédiaires (ETI) et aux filiales de groupes étrangers qui constituent un maillon important de son économie. Une partie de la relance viendra de la poursuite, ou pas, de la politique d’investissement de ces entreprises dont nous faisons partie.

Votre entreprise a-t-elle soutenu le gouvernement ou la communauté française pour faire face aux conséquences de l'épidémie de coronavirus ?

D’une part, Messer France a collaboré avec les associations professionnelles de son secteur dans les domaines industriels (AFGC) et médical (APHARGAZ). Ces dernières ont informé très régulièrement France Chimie et les représentants de l’Etat de nos difficultés. D’autre part, nous avons eu des échanges réguliers avec les autorités de santé (DGS, ARS, ANSM..), le Ministère des Finances (DGE..) et nos interlocuteurs habituels (DREAL, Directe..).