Comment les entreprises allemandes gèrent-elles la crise sanitaire? L'exemple de Hager

11/06/2020

Entretien avec Daniel Hager, Président du directoire de Hager Group, qui nous explique comment sa société a géré et pu maintenir son activité en cette période de crise sanitaire liée au Covid-19.

Monsieur Hager, votre entreprise a son siège en Allemagne, en Sarre, et un grand site en France dans le Grand Est. Pouvez-vous tout d’abord brièvement rappeler l’activité de votre entreprise dans les deux pays ?

Hager Group est un l’un des principaux fournisseurs leaders en matière de solutions et de services pour les installations électriques dans les bâtiments résidentiels, tertiaires et industriels. Notre cœur de métier historique est la distribution d’énergie électrique avec le tableau électrique, les disjoncteurs et les interrupteurs différentiels. Aujourd’hui on retrouve nos produits et solutions dans tout le bâtiment. Cela va du cheminement de câble jusqu’aux interrupteurs, prises électriques, systèmes d’alarme, détecteurs de fumée, interphones et bornes de charge de véhicules électriques. A partir du cœur de métier de l’entreprise, notre ambition est de développer de plus en plus de solutions pour la gestion intelligente de l’énergie dans les bâtiments.

L’entreprise a été fondée en 1955 dans la Sarre, qui était indépendante et sous protectorat français suite à la seconde guerre mondiale. Quand la région est retournée à l’Allemagne en 1959, nos fondateurs ont décidé d’implanter une usine en Alsace. Nous sommes ainsi une vraie entreprise franco-allemande depuis nos origines. Aujourd’hui, notre siège est toujours en Sarre, à Blieskastel mais notre plus gros site de production se trouve à Obernai en Alsace. Nous avons également d’autres sites dans les deux pays (5 en France et en 3 Allemagne). Aujourd’hui, Hager Group compte 11 500 collaborateurs et 20 sites de production dans 9 pays.

Comment la crise sanitaire a-t-elle affecté les activités de votre entreprise ? Est-ce qu’il y a eu des différences entre vos sites en Allemagne ou en France ?

Nous avons été touchés dès le mois de janvier par cette crise en Chine où nous comptons deux sites de production. Dès l’arrivée de la crise en Europe, nous avons mis en place de nombreuses mesures afin d’assurer la sécurité de nos collaborateurs, la continuité de nos activités et donc la pérennité du groupe.

Parmi les mesures de prévention déployées, nous avons notamment suspendu tous les déplacements professionnels à l’étranger, toutes les visites clients, ainsi que les formations et l’accueil des partenaires externes sur l’ensemble des sites de Hager Group . Nous avons également limité le nombre de personnes physiques dans les bureaux et salles de réunion tout en renforçant les mesures d’hygiène et en développant le travail à distance.

En France, nous avons également suspendu temporairement la production et les activités logistiques sur nos cinq sites industriels. Cela nous a permis de vérifier les conditions de sécurité et d’hygiène à l’aide d’audits et de préparer la mise en place des mesures barrières pour la reprise d’activité. Nous avons également identifié les activités essentielles à la continuité des opérations et aux besoins de nos clients.

Nos usines en Allemagne, en revanche, ont continué à fonctionner normalement pendant toute la crise sanitaire. Bien évidemment, nous avons déployé toutes les mesures d’hygiène et de sécurité nécessaires dans les usines, les bureaux, les entrepôts, le restaurant d’entreprise, etc.

Quel a été l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur l’activité de votre entreprise? Avez-vous constaté des répercussions sur vos commandes ?

En France, environ 90% des chantiers ont été arrêtés pendant le confinement ce qui a eu, inévitablement, une répercussion sur le volume de commandes. Depuis le 11 mai, les chantiers reprennent progressivement leurs activités mais de manière très encadrée – ce qui laisse entrevoir une reprise d’activité très progressive pour l’ensemble de la filière électrique. En Allemagne, les chantiers et l’activité des électriciens ont certes baissé, mais pas de manière aussi dramatique qu’en France. Outre-Rhin nous avons pu continuer à produire et à livrer nos clients.

Nos usines françaises produisent également des composants pour d’autres pays européens. La suspension de l’activité pendant deux semaines à la fin du mois de mars a eu un impact sur nos capacités industrielles globales. Néanmoins, tous nos centres logistiques à travers le monde sont désormais opérationnels et nos usines reviennent à de bonnes cadences de production, ce qui est une nouvelle positive pour nos clients et pour l’entreprise.

Est-ce que vous avez pu maintenir la production et comment vous êtes-vous concrètement organisés ?

En France, compte tenu du confinement et de la situation d’incertitude, nous avons décidé d’arrêter temporairement la production sur tous nos sites. Après la mise en place des mesures sanitaires, en étroite coordination avec les représentants du personnel, nous avons pu reprendre progressivement nos activités depuis la mi-avril. Ainsi, par exemple, nous effectuons des prises de température dès l’arrivée sur le site, et nous avons aménagé les postes de travail pour garantir une distance minimale de 1,5 m. Le port d’équipement de protection individuelle a été rendu obligatoire. Nous avons réorganisé les flux d’arrivées et de sorties afin que les collaborateurs ne se croisent pas au moment des changements d’équipe. Nous effectuons également des désinfections régulières.

En Allemagne, la production a été maintenue et nous avons également mis en place, dès le début de la crise, des mesures de sécurité et d’hygiène renforcées : postes de travail aménagés, distanciation physique, gel hydroalcoolique, contrôles de température à l’entrée des sites, circulation à sens unique au restaurant d’entreprise, etc.

Bien entendu, le télétravail a été déployé massivement dans le groupe afin de limiter au maximum le nombre de collaborateurs présents sur les sites.

Votre entreprise a-t-elle soutenu les gouvernements ou les communautés française et allemande pour faire face aux conséquences de l'épidémie de coronavirus ?

Absolument. Dans plusieurs pays où nous sommes implantés de nombreuses initiatives ont vu le jour. Cette mobilisation collective nous a permis de faire don de nombreux équipements de protection individuelle. Plus de 23 000 masques (chirurgicaux et FFP2) ont déjà été offerts à travers le monde, dont près de 10 000 en France et plus de 10 000 en Allemagne. Des gants, du gel hydroalcoolique, des blouses, des charlottes de protection ont également été fournis à différents organismes de santé.

Nos équipes innovation en Alsace ont collaboré avec des « Fab Labs » de la région pour fabriquer des visières de protection et des valves 3D adaptées aux masques et respirateurs Easybreath de Decathlon. Ces pièces ont été fournies aux hôpitaux de Strasbourg.

Evidemment, je garde un contact régulier avec les associations professionnelles et les responsables politiques des deux côtés du Rhin pour faire entendre la voix d’un entrepreneur et d’une entreprise européenne.  

Quelles sont les perspectives économiques pour votre entreprise cette année ?

La crise aura un impact économique et financier sur le groupe. Les conséquences de la crise sanitaire seront lourdes bien que le secteur du bâtiment ait été moins impacté par les décisions politiques que d’autres secteurs comme la restauration, le tourisme ou l’automobile.

Et comment évaluez-vous la situation de l'économie française ?

Les mesures de confinement en France ont été particulièrement draconiennes. Le pays a quasiment été à l’arrêt pendant près de deux mois. Il n’est pas étonnant que, dans ces conditions, l’INSEE anticipe une chute d’environ 20 % du produit intérieur brut au deuxième trimestre 2020. L’impact global des mesures de confinement risque donc d’être très négatif. Je crains par conséquent une reprise longue et difficile ponctuée de crises sociales et politiques si nous ne parvenons pas rapidement à maitriser la situation et relancer l’activité économique et sociale.

Les gouvernements dans les deux pays ont lancé des programmes d'aide à l'économie. Selon vous, est-ce que c’est suffisant ? Quelles autres mesures proposez-vous pour aider les entreprises à surmonter la crise ?

Les budgets consentis, au niveau national et européen, pour faire face à la crise sont massifs. Les aides d’urgences ont heureusement contribué à pallier les problèmes les plus pressants. Malheureusement aucun pays, ni même l’Union européenne, ne peuvent à eux seuls financer une économie nationale. Tous les pays sont confrontés au maintien en vie de leurs différents acteurs économiques et font face au problème du recul massif de leurs recettes financières.

Il est donc important que les moyens actuels déployés ne servent pas à financer le budget courant de l’Etat ou la consommation, mais aussi à investir dans l’avenir du pays et de l’Europe : infrastructure digitale, transition électrique et écologique, mobilité responsable ou encore l’éducation. Autant de sujets clefs pour l’avenir.

Les pouvoirs publics peuvent également mettre en place des mesures qui ne coûtent pas un centime : alléger les démarches administratives, simplifier les normes et régulations ou encore faciliter la création d’emploi. En résumé : libérer les énergies, donner de l’air et faire confiance aux entreprises et aux entrepreneurs qui ont su gérer cette crise de manière responsable et exemplaire.

Finalement pour tous les acteurs, une chose est claire. Il faut éviter coûte que coûte un deuxième confinement. Les acteurs publics doivent maintenant affiner leur compréhension du mode de propagation du virus et, en ce sens, se préparer avec des équipements et des mesures appropriées. Nous devons apprendre de cette crise et nous tenir prêts face à toute autre menace sanitaire. Beaucoup d’Etats comme la Corée du Sud ou Singapour nous ont montré comment faire, de manière pragmatique et mesurée, grâce aux technologies du 21ème siècle.

J’ai deux convictions : nous devrons apprendre à vivre avec ce virus, et nous ne pourrons pas arrêter le pays une nouvelle fois.   

Quand pensez-vous que votre entreprise reprendra son activité normale ?

La notion de « normalité » est relative. Je pense que 2020 représentera une rupture à de nombreux niveaux. Nous entrons dans une nouvelle ère avec ses risques et ses opportunités.

Concernant notre entreprise, je pense qu’il faudra bien deux à trois ans avant de retrouver l’activité commerciale de 2019. A ce jour, toutes nos usines sont en activité afin de rattraper les retards accumulés. Néanmoins nous manquons de visibilité pour estimer la demande commerciale à venir.

Cette crise change indéniablement notre façon de fonctionner et de travailler. Car, même si notre niveau de production industrielle est désormais équivalent à celui de l’année passée, la productivité est impactée par les mesures de santé et de sécurité en place. Et nous avons appris à travailler différemment : moins de déplacements, plus de télétravail et plus d’agilité.

En conclusion, nous pouvons dire que cette crise, malgré ses défis, accélère la transformation que nous avions entreprise il y a quelques années.