L´Industrie du futur ou industrie 4.0, c´est avant tout la numérisation de l´industrie. Cela peut représenter un investissement de 800 milliards d´euros par an jusqu´en 2020, dont 140 milliards en Europe soit 50% des dépenses prévues sur cette période.
L’exemple Allemand
On attend pour l´Allemagne, grâce à l´Industrie 4.0, une augmentation de la valeur ajoutée d´environ 80 milliards d’euros entre maintenant et 2025 et une croissance complémentaire du PIB de 1,7% par an. La croissance viendra des produits innovants, de nouveaux services, et de procédés plus efficaces. En comparaison avec d´autres pays industrialisés, l´industrie a une part très élevée dans la création de valeur ajoutée brute. La part des PME dans l’économie allemande est très significative (79.2% des employés et 54.8% de la valeur nette ajoutée). Beaucoup de ces PME sont des leaders mondiaux dans leur domaine.
Aujourd´hui cependant 20% de ces sociétés seulement ont digitalisé leur chaine de valeur. De nombreuses entreprises industrielles disposent de volumes de données importants sans les utiliser efficacement : le « Big Data » n´est utilisé que par un peu plus de 10% des entreprises. Une certaine réticence quant aux aspects juridiques et de sécurité informatique en sont l´une des raisons mais aussi le fait de ne pas savoir « où commencer » dans la digitalisation.
La digitalisation de l’énergie, support à l’industrie 4.0
L´aspect énergétique pourrait en être le fil conducteur : l’Allemagne a en effet développé le programme ambitieux de transition énergétique, appelé « Energie Wende », qui permet notamment de produire l’électricité grâce à des sources renouvelables, par exemple éolien ou solaire. Il s’agit d’un changement de paradigme majeur, passant d’un modèle avec des grands systèmes de production (nucléaire, centrales thermiques) à un système énergétique plus décentralisé et digitalisé. C’est pourquoi de nouveaux appels d´offres venant du BMWI (Ministère de l´économie et de l´énergie allemand) à hauteur de plusieurs centaines de millions d´Euro (« Savings meter », « step-up !» ou « SINTEG ») auront pour but le développement de l´offre de service et de solutions d´efficacité énergétique en mettant la numérisation en avant.
Dans ce contexte, l'industrie représente environ 30 % de la consommation énergétique de l'Allemagne avec des prix de l´électricité et des énergies primaires parmi les plus élevées d´Europe. Pour réduire son empreinte écologique mais aussi rester compétitive, l´industrie Outre-Rhin devra augmenter son efficacité énergétique de façon significative. Or l'efficacité énergétique a seulement augmenté de 1,6% entre 2008 et 2014, ce qui est inférieur aux 2,1% prévu par le plan gouvernemental. Les sources les plus faciles à atteindre ont été épuisées : les anciennes machines et composants ont été remplacés par d´autres plus eco-efficaces, mais cela ne suffit plus. En 2013 Siemens chiffrait à 200 TWh le potentiel économiquement attractif non capté.
L´Allemagne est ainsi devenu le pays au monde où il y a le plus grand nombre d´entreprises certifiées ISO 50001 (système de management de l’énergie, qui est donc à l’énergie ce que l’ISO 9001 est à la qualité). Publiée en 2011, cette norme est d’application volontaire par les entreprises, qui y ont vu l’opportunité d’améliorer significativement et de manière proactive leur performance énergétique. Un nouveau métier, baptisé « Energy Manager », a ainsi vu le jour. Une première étape consiste à réaliser un audit des installations industrielles et des bureaux, de manière à identifier les potentiels de gain et à prioriser les actions. Grâce à la remontée des informations de consommation d’énergie, mais aussi des facteurs d’influence tels que la météo, le planning de production ou d’autres informations issues de l’Internet des Objets, les entreprises ont amélioré leur compréhension des leviers à leur disposition.
De nouveaux leviers de performance industrielle
Parmi ces leviers, on trouve l’amélioration des procédés, de la métrologie et des systèmes d’information. Une installation systématique de compteurs intelligents, soutenu par la loi sur la digitalisation du marché de l´énergie de juillet 2016, facilitera la prise de décision. Les industriels participent aussi activement aux mécanismes de marché favorisant la gestion de la capacité et de la flexibilité du réseau. Un industriel peut ainsi consommer au meilleur moment et piloter ses achats d’énergie au meilleur tarif, ainsi que ses ventes de produits finaux à ses clients, dont le coût de revient est partiellement indexé sur l’énergie.
Prenons l’exemple de l’industrie agroalimentaire. Quand un industriel produit une tonne d’amidon, produit de transformation à la base de notre alimentation, il utilise des matières premières agricoles comme le maïs ou le blé, ainsi que de l’électricité ou du gaz naturel. Toutes ces ressources sont échangées sur des marchés internationaux, avec des prix très volatiles et donc un risque financier important pour l’entreprise. Mieux gérer ces ressources permet de piloter sa marge opérationnelle et d’améliorer sa compétitivité. L’amélioration de la performance environnementale devient donc le moteur de la performance industrielle !
Une corrélation se fait jour : les segments industriels - l´agroalimentaire, l´électronique, la construction mécanique et métallique ainsi que la chimie - qui investissent fortement dans l´efficacité énergétique, investissent aussi fortement dans l´industrie 4.0. Des plateformes de digitalisation de l´industrie ont été mises en place aussi bien au niveau national (Effizienzfabrik : VDMA avec BMBF) que régional (Baden-Württemberg : Ultraeffizientfabrik, Fraunhofer) en utilisant comme l´un des points principaux d´ancrage l´efficacité énergétique.
Vers des systèmes industriels distribués et adaptatifs ?
L’évolution du monde de l’énergie vers un système d’actifs de production et de consommation décentralisés permet de mieux comprendre la révolution industrielle à venir : celle des flux d’information distribués. Une usine qui grâce à des imprimantes 3D pourra adapter jusqu’aux produits fabriqués dans l’entreprise en fonction de la demande. Un nouveau paradigme, la « blockchain », permet de décentraliser complétement les flux d’information, sans intermédiaire. Si de nombreux verrous technologiques existent encore aujourd’hui, il devient possible d’imaginer que chaque machine ou objet connecté puisse ainsi communiquer de manière autonome et sécurisée avec les autres, apprendre et enrichir son mode de fonctionnement grâce aux technologies de l’intelligence artificielle. Les modèles d’affaires en seraient fortement impactés, via une plus grande flexibilité de l’outil industriel, de son adaptation en temps réel aux contraintes des consommateurs ainsi qu’une optimisation des flux logistiques.
Texte : Raphael Goldstein (GTAI) et Fabien Imbault (Evolution Energie)