Le grand public est loin de mesurer l’étendue des applications de l’intelligence artificielle dans un secteur qu’il ne soupçonne sans doute pas : celui de l’industrie
La récente accélération des technologies d’intelligence artificielle (IA) est l’un des événements les plus marquants de ces dernières années. Parce que chacun peut les expérimenter au quotidien à travers l’utilisation d’une reconnaissance vocale ou d’outils d’aide à la conduite, les prouesses dont l’IA est capable sont désormais bien connues. Pourtant, le grand public est loin de mesurer l’étendue de ses applications dans un secteur qu’il ne soupçonne sans doute pas : celui de l’industrie. La capacité pour l’Europe de continuer à jouer un rôle précurseur dans ces nouvelles technologies est l’un des principaux défis des dix prochaines années.
Les spectaculaires progrès de l’IA dans le jeu de go, les véhicules autonomes ou les interfaces naturelles ont défrayé la chronique. Ce sont des changements aussi profonds qui ont lieu à l’heure actuelle dans l’industrie. L’industrie n’a pas attendu l’engouement qui entoure l’IA pour s’y intéresser et en faire une pièce maîtresse de son développement. Des réseaux de neurones sont installés dans les aciéries depuis les années quatre-vingt-dix. En simulant des neurones interconnectés, ils aident à interpréter les données et à prendre des décisions optimisant les processus de production. Grâce à l’IA, on ne produira plus jamais comme avant, ce qui permettra en particulier de relever les défis de la minimisation des rejets et de l’utilisation optimale de l’énergie et des matières premières.
L’IA se révèle un puissant adjuvant à la transition énergétique. C’est par exemple grâce à une application de ces nouvelles technologies d’intelligence que l’on est en mesure d’ajuster automatiquement la position des rotors des éoliennes en fonction du vent afin d’en maximiser le rendement. La maintenance des installations était hier essentiellement curative, intervenant en aval des pannes ; elle devient prédictive, ce qui permet d’éviter de coûteux à-coups dans la production.
Mécanismes autoapprenants.
D’aucuns ont souvent une idée quelque peu surannée de l’industrie, y voyant un secteur technique, peu qualifié et disons-le peu branché sur l’avenir. C’est grandement méconnaître la réalité d’un secteur qui est au cœur de l’innovation et dont les besoins en compétence ne cessent d’augmenter. Les industries exercent un puissant effet de traction sur leur environnement économique, en particulier dans les territoires. Il faut comprendre que l’intégration croissante de robots et mécanismes autoapprenants, apparemment faite au détriment de l’emploi, est en réalité le point d’accroche d’une activité économique productrice en emplois. Le fait que les pays comptant le plus de robots dans les usines soient aussi ceux qui ont le plus faible taux de chômage, tels que la Corée du Sud ou l’Allemagne par exemple, en est l’éloquente démonstration.
La révolution de l’IA n’est pas seulement technologique, c’est également celle des modèles de commercialisation, à l’heure où la distinction traditionnellement faite entre service et industrie est de moins en moins pertinente, car non seulement elle ne rend plus compte de la complémentarité entre les deux (un produit intègre désormais de plus en plus de services), mais surtout elle néglige le fait que les enjeux sont exactement les mêmes. La capacité à être à la pointe des technologies n’est pas pour l’industrie une tocade cosmétique, c’est une exigence absolue si nous voulons rester compétitifs, conserver et développer nos parts de marché à l’international. Etre capable de développer en Europe, au cœur de nos industries, les meilleures technologies d’IA est ainsi un défi pour notre indépendance autant que pour notre prospérité future.
Il n’y aura plus dans l’avenir d’avantage concurrentiel défendable que par et à travers une utilisation intensive d’IA permettant un service aux consommateurs plus adapté et à moindre coût. De tels développements mobilisent d’importants capitaux, nécessitent des fertilisations croisées entre établissements partageant leurs données et meilleures pratiques. Il est ainsi vital pour les pays européens, au premier rang desquels la France et l’Allemagne, de mettre en place des partenariats pour le développement des technologies d’IA appliquées à l’industrie.
Daniel Hager est président du directoire de Hager Group et membre du Comité directeur de la Chambre franco-allemande de commerce et d’industrie.
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