Entretien avec Catherine Gras, Directrice Générale de Storengy Allemagne et Présidente du Conseil d’Administration de Storengy UK
1. Madame Gras, vous êtes une femme qui a réussi dans le monde industriel. Pourriez-vous décrire brièvement votre parcours ?
Titulaire d’un master de l’école de commerce ESSEC, j’ai commencé ma carrière avec des postes plutôt financier, d’abord pour le cabinet d’audit KPMG puis pour un fonds d’investissement. En 2001, j’ai décidé d’entrer dans le secteur énergétique. J’ai intégré le Groupe ENGIE pour lequel j’ai exercé différents rôles dans le domaine des Fusions & Acquisitions, puis plus tard en tant que CFO d’une business unit. Depuis 2016, je suis directrice générale de Storengy UK Ltd, dont je continue d’assurer la présidence du conseil d’administration. En octobre 2018, j’ai rejoint Storengy Deutschland GmbH en tant que directrice générale.
2. Sur quoi vous concentrez-vous aujourd’hui dans votre travail ?
Comme dirigeante d’une entreprise dans l’énergie, deux axes m’occupent particulièrement en ce moment. Premièrement, la transformation d’une entreprise basée sur les énergies fossiles vers les énergies renouvelables et plus spécifiquement les gaz verts. Cela suppose un effort soutenu d’explication de cette stratégie de transformation, pour lui donner de la visibilité et de la clarté. Storengy est une des plus grandes entreprises de stockage de gaz, nous orientons aujourd’hui notre stratégie vers le stockage d’hydrogène et la production de biométhane. Mon travail se focalise donc beaucoup sur le lobbying, la gestion de la transformation et la communication de notre stratégie. En outre, nous faisons face aujourd’hui à un très grand défi : nous nous trouvons dans une des plus grandes crises énergétiques jamais vue. Notre entreprise se trouve au cœur de la gestion de cette crise et je dois contribuer à la mener au mieux. Cette situation est rendue particulièrement complexe par un contexte législatif -européen et national- mouvementé, ce qui est un challenge de plus pour notre activité. Dans ce contexte, je dois mener la transition de notre stratégie et gérer la crise de court terme avec toute mon énergie et beaucoup de persévérance.
3. Quelles étaient les plus grands défis de votre vie professionnelle et comment vous les avez géré ?
Après plusieurs années passées dans un fonds d’investissement, je me suis trouvée confronté à un conflit de valeur : je me posais la question du sens de mon travail. C’était un métier passionnant mais je ne m’y retrouvais plus et j’ai donc décidé de changer complètement de secteur : je suis entrée dans l’industrie, plus particulièrement dans le secteur de l’énergie que je considère comme un secteur essentiel pour notre société et notre économie. C’était une décision difficile à prendre car ma voie était bien tracée dans le fonds d’investissement où je me trouvais, j’étais sur une trajectoire claire. De plus, cela s’est traduit par une forte réduction de salaire. C’est une décision qui a été structurante pour ma vie professionnelle.
J’ai vécu un deuxième tournant professionnel il y a une dizaine d’année. A ce moment-là j’étais CFO d’une business unit, avec des perspectives d’évolutions claires au sein de ce type de fonction. Survient alors une réorganisation interne … et mon poste est supprimé. Après une phase un peu difficile à vivre, j’ai rebondi, cela a été pour moi une réelle opportunité d’amorcer une nouvelle phase de ma carrière, en sortant des fonctions financières et en prenant des responsabilités opérationnelles. Aujourd’hui, avec deux postes de direction générale derrière moi, je regarde ces décisions comme deux moments forts de mon évolution personnelle et professionnelle. Aucune des deux n’a été simple mais en transformant positivement des situations initialement peu favorables, j’ai réussi à trouver ma voie. Comme directrice générale d’une entreprise de l’énergie, j’ai donné du sens à mon action et je peux influer sur la transformation de ce secteur.
4. Le secteur de l’énergie en particulier est très masculin. Quelles compétences une femme doit-elle posséder pour occuper un poste de haut niveau ?
C’est effectivement un secteur très masculin et encore plus en Allemagne qu’en France ou en Angleterre où j’ai travaillé précédemment. Comme mentionné au tout début de notre interview, je ne suis pas de formation ingénieur et pour autant je travaille dans un secteur où cela est souvent considéré comme indispensable. Je pense que pour avoir un poste de direction générale il faut surtout avoir une vision globale de l’entreprise et une capacité à échanger et comprendre l’ensemble des problématiques techniques, commerciales, financières … de l’entreprise. En ouvrant le recrutement à des non- ingénieurs on peut résoudre pour partie la sous-représentation des femmes dans ce secteur en Allemagne.
5. Comment faire pour que davantage de femmes occupent des postes de direction ? Quelles mesures seraient bénéfiques ?
Le groupe ENGIE dont fait partie Storengy s’est fixé un objectif très ambitieux de parité dans le cadre d’un programme « fifty fifty ». C’est un challenge très significatif et qui suppose de progresser sur de nombreux aspects. Il y a un travail important à faire sur la politique de recrutement pour définir les qualités que l’on attend sur un poste donné et ouvrir les recrutements à divers types de formation et de parcours professionnels. On doit aussi donner l’envie aux jeunes filles de se diriger vers des fonctions techniques ou scientifiques, où elles restent très minoritaires, en intervenant en amont, dans des écoles, des forums étudiants. Il y aussi un effort important à faire pour donner aux femmes l’envie de prendre des postes à haute responsabilité. Les femmes qui sont aujourd’hui sur ces postes-là peuvent contribuer à inspirer les jeunes femmes en témoignant de leur expérience, en démontrant que ce n’est pas exceptionnel. Reste la solution des quotas, une solution dont je ne pense pas que nous puissions nous passer aujourd’hui considérant la lenteur des changements constatés ces vingt dernières années. Mais il faut les utiliser et communiquer dessus de façon intelligente pour éviter que cela ne se retourne contre les femmes elles même. « Je suis une femme, ce n’est pas parce qu’il y a un quota que je suis à ce poste, c’est parce que je le mérite », voilà ce que nous devons réussir à faire.
6. Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes femmes qui veulent faire carrière ?
Une femme qui souhaite mener une carrière professionnelle doit croire en elle et ses capacités et rester elle-même. Le monde de l’entreprise reste un monde « genré » avec ses codes et comportements masculin, mais on peut y réussir aussi en gardant ses propres modes d’expression, ses aspects féminins. Qu’on soit une femme ou un homme, il faut savoir prendre des décisions personnelles engageantes et s’ouvrir à différentes perspectives pour progresser. A ce titre, je voudrais insister sur l’ouverture aux autres pays, travailler à l’international ou dans un contexte international est très enrichissant et peut être un accélérateur de carrière. Je vais finir sur un point qui me parait particulièrement important. Gérer une carrière, c’est comme gérer une activité sportive dans la durée : tout est question d’énergie. Soyez vigilante. Un poste de haut niveau exige un fort investissement en énergie, il faut savoir gérer cela dans la durée et trouver comment ressourcer régulièrement cette force si précieuse qui nous supporte.
7. Dans quelle mesure vous engagez-vous pour les relations franco-allemandes ?
En 2020, j’étais nommée conseillère du commerce extérieur de la France, une mission bénévole dans laquelle j’aide les jeunes français et les entreprises à s’installer en Allemagne. Je travaille également de façon rapprochée avec l’Ambassade de France à Berlin sur les thématiques énergétiques communes aux deux pays.
Propos recueillis par Alexandra Seidel-Lauer